Saints
à habiller de la Procession des Cendres de Rio de Janeiro - Physionomies de la foi
Nancy Regina Mathias Rabelo
RABELO, Nancy Regina Mathias. Saints à habiller de la Procession des Cendres de Rio de Janeiro - Physionomies de la foi. 19&20, Rio de Janeiro, v. IV, n. 1, jan. 2009. Disponível em: <http://www.dezenovevinte.net/obras/imagens_nancy.htm>. [Português]
* * *
Les vertus morales, pour être liées aux émotions, doivent aussi se relier à notre nature composée, les vertus morales de notre nature composées sont humaines ; par conséquent, sont également humaines la vie et le bonheur qui leur correspondent.
Aristotes - Livre X - 8, 20
1 - La sculpture de procession - Aspects généraux
Un des segments les plus significatifs de la sculpture religieuse est celui
des images sur armatures en bois et à habiller, composées généralement pour les
évenements solennels des commémorations chrétiennes, et intrinsèquement liées
au vécu religieux de la communauté. Longtemps ignorées par les historiens d´art
ou sous-estimées du point de vue artistique, ces images ont récemment fait l'objet d´études qui leur confèrent une dignité
méritée, comme c´est le cas de celles de Maria Regina Emery Quites et Adalgisa
Arantes Campos, dans le Minas Gerais, et Maria Helena Flexor, à Bahia.
En ce qui concerne la composition technico-structurelle, les images à
habiller peuvent être classées d´une manière générale en trois types[1] :
* Sculptures complètes - faites en bois ou en pâte, polychrome, ou faites de toile encollée.
* Images à habiller anatomique - les
corps sont sculptés anatomiquement et reçoivent une polychromie qui imite les
«sous-vêtements.»
* Images sur armatures - ce sont des sculptures dans lesquelles la partie
supérieure du corps du saint repose sur une structure en bois fixée sur une
base carrée, ovale ou octogonale.
Nous adopterons ici la terminologie « saint sur armature » pour
les figures structurellement composées sur des structure en bois, et
« saint à habiller » pour les figures articulées, mais
structurellement en ronde bosse, qu´elles soient faites en bois, en tissu ou en
papier. Il convient de considérer que toutes, sur armatures et à habiller, sont
articulées et préparées pour l'utilisation de vêtements, ce qui nous conduit
parfois à les généraliser comme images à habiller.
Pour leurs valeurs didactiques et persuasives, adéquats aux intentions tridentines, très tôt, ces images ont été adoptées par les catéchistes dans les mondes paiens. Faisant référence aux fondements de cette pratique, Debret (1834-1839) a ainsi affirmé :
Les cérémonies de la religion catholique, introduites au Brésil par les missionnaires portugais, ont conservé leur caractère grossier, c´est-à-dire l'exagération dont il était nécessaire de les revestir, pour impressionner les indiens, leur présentant des figures sculptées, colorées et de proportions gigantesques. Ces missionnaires avaient senti, à juste titre, que l'aspect de ces images humaines, êtres intermédiaires entre l'homme et la divinité, ferait naître dans l'imagination des sauvages l'idée de la grandeur et de la force extraordinaire du nouveau dieu qui leur était imposé.[2]
Dans cette brève mais fort perspicace analyse, Debret a perçu l'importance
des processions héritées d´Espagne et arrivées au Brésil par le biais du
Portugal, réalisées lors des moments culminants du calendrier liturgique. Il a
surtout reconnu la force des images, personnages clés des rituels
processionnels, dont la force persuasive et la capacité d´impressionner sur le
plan vie affectif, ont été les qualités revendiquées par les prêtres
missionnaires. À cette époque, les processions étaient réalisées dans un esprit
catéchistique, n´excluant pas l'aide de laiques fervents. Les jésuites
ingénieux, mettaient en pratique des techniques théâtrales : aux effets
visuels de la procession étaient ajoutés les exemples et les recours au son et
à la lumière, selon les descriptions faites par le père jésuite Manoel da
Nóbrega[3], dans une lettre de 1559 :
Durant la Semaine sainte, je suis allé à cette église de São Paulo pour y célébrer les offices religieux de cette époque [...]. Nous avons fait la procession des Rameaux de forme très solennelle ainsi que tous les autres offices des Trevas[4] et nous avons clos notre Seigneur parce que Simão de Gama, par dévotion, avait pris soin de bien l'amarrer et de l'accompagner avec sa maison et ses créatures ; mais louons le Seigneur pour ce qui s´est produit durant la nuit de Trevas parce que, quand ils vont au Miserere mei Deus[5], qui se dit au final, les frères se sont tous disciplinés, quand ils le prononçaient ; les Indiens qui avaient déjà quelques notions sur la Passion de Notre Seigneur, irruit spirituss Domini in eis[6] mûs par une grande componction, se giflaient brutalement, s´arrachant des larmes, selon ce que j´ai su de tous les chrétiens blancs présents dans l'Église.
Les Premières Constitutions de l'Archevêché de Bahia[7] font références aux processions comme « une
oraison publique faite à Dieu par un regroupement commun de fidèles disposés
dans un certain ordre, qui va d´un lieu sacré à un autre lieu sacré. » Selon le document,
il s´agit d´une tradition tellement ancienne que son usage remonte aux temps
des Apôtres. Cependant, dans l'esprit d´exaltation et de gloire promue par les
romains à l'Empereur, on sait qu´étaient réalisées des processions solennelles
à l'attention du propre Empereur, exaltant la prouesse. L'Église catholique
s´est appropriée cette pratique païenne[8] en lui conférant un sens religieux.
L'imaginaire
processionnel a eu sa meilleure traduction en Espagne, d´où il s´est propagé
pour le Portugal, et par extension, est devenu largement populaire au Brésil
jusqu´à la fin du XIXème siècle. Ses caractéristiques appropriées aux
evénements publiques de rue étaient compatibles avec les idées et la
proposition de contre-réforme, et correspondait au désir de rapprocher l'humain
et le divin, donnant aux images une apparence réelle[9]. Selon Werner Weisbach (1948)[10], « après la Réforme, le catholicisme s´est vu obligé de satisfaire
les masses, accueillant et favorisant ses intérêts matérialistes ». L'élément réthorique, stimulant, excitant, a été accepté et adopté dans les
conceptions artistiques, avec l'inclusion de materiaux et de valeurs mondaines,
laissant apparaître une tolérance à un luxe démesuré. Les fêtes offraient aux
associations laiques l'opportunité d´une démonstration publique de richesse,
comme pretexte de la foi.
L'ancienne habitude de réaliser des processions a évolué au cours du temps, passant d´un sens purement spirituel de l'Église du XVème siècle, sévère, pour assumer des nuances profanes sous le parrainage laique, atteignant des grandeurs compatibles avec l'esthétique baroque, qui au début du XVIIIème siècle avait déjà produit des œuvres somptueuses, comme l'exemple cité par le frère Agostinho de Santa Maria[11] faisant référence à l'Église de Notre-Dame de Candelária : « [...] il y a beaucoup de chapelles, et toutes ornées de riches retables dorés et presque toutes ont une Confrèrie, qui s´emploie aux festivités avec beaucoup de dévotion, une grande ferveur et beaucoup de dépenses [notre commentaire].» Un exemple typique au Minas Gerais a été le Triomphe Eucharistique, commémoration qui s´est réalisée à Vila Rica, qu´Ávila (1994, p.33) a défini comme « plus une fête de réjouissance des sens qu´une complaisance spirituelle à proprement parler. »[12] Dans ce contexte, ont abondé les recours plastiques et scènographiques de richesse et de luxe, prétexte à une exaltation des valeurs divines.
Dans la dynamique des spectacles religieux dans les rues, les frères des
confrèries, ordres et fraternités, investissaient des sommes considérables, les
femmes s´évertuaient à réaliser de riches broderies d´or pour les tissus de la
fête et les hommes se dédiaient à l'administration et à la réalisation de
l'évenement, efforts qui étaient récompensés par la reconnaissance sociale que
cela leur procurait.
Les figures à habiller s´inséraient au milieu de cet apparat scènographique
luxueux, pensées et faites pour participer à la pompe que cette occasion
exigeait. Par suite, il ne s´agissait pas d´objets « mal finis », ou
faits de forme économique, moins coûteux que les traditionnelles images en
ronde-bosse. Les saints à habiller sont des sculptures très souvent finement
travaillées, projetées pour recevoir les ajouts décoratifs dont elles seraient
ornées, elles ne sont pas pensées comme des objets finis dans la forme
immédiate qui leur est donnée, mais postérieurement intégrées aux tissus,
bijoux, perruques, ornements et tous les apparats qui leurs seraient ajoutés.
La structure dont elles sont constituées sont en vérité un support pour les
habits qui lui seront mis, avec l'avantage de les rendres plus légères,
soulageant le poids et l'effort de ceux qui en portent les brancards. Cela ne
diminue en rien les efforts déployés pour la représentation des formes
apparentes. Bien au contraire, dans les figures étudiées nous observons que les
parties visibles de la sculpture, mains, visage et éventuellement pieds, les recours
expressifs sont soigneusement travaillés, ainsi que les qualités
anatomiques et la délicatesse de la carnation. N´étaient pas moins ingénieuses
et précieuses, les solutions adoptées pour les articulations, faites pour créer
le mouvement et faciliter l'habillement du saint, qui parfois résistait
plusieurs centaines d´années.
Il est important de ne pas perdre de vue que ces images faisaient partie
d´un spectacle artistique éphèmere qui provoquait une forte commotion, qui dans
une durée déterminée, imprégnerait le fidèle d´une impression émouvante et
transformatrice. De tout le matériel utilisé, les plus durables étaient les
figures et les brancards, tout le reste étant composé de matériaux périssables,
tels que les tissus, la cire colorée et le papier. L'analyse isolée des images
à habiller, sans les inclure dans le contexte du spectacle auquel elles
appartenaient, non seulement appauvrit mais empêche également de donner la
juste dimension de leur rôle religieux et artistique.
En tant que spectacle publique, ces processions avaient un profil
éminemment urbain. Les localités òu elles se produisaient avaient un profil
populationnel significatif et pour l'institution du tiers ordre étaient
incorporés des membres d´un certain pouvoir acquisitif et poids social. De
nombreuses personnes de la ville étaient engagées, dans leur organisation et,
dans ces moments, en révérence au Divin toute la population était impliquée de
forme active ou passive, revenant aux nobles et aux dignitaires les rôles
principaux de co-assistants de ce théâtre sacré dès lors que les protagonistes
étaient les propres saints. Le parcours emprunté transformait la ville en un
espace scènographique, favorisant l'action et par conséquent, la création d´un
vécu. Le fidèle ne conduisait pas seulement l'image, mais également son propre
corps a travers les rues, entonnant des chants, participant théâtralement à la
« Rencontre » ou au parcours de la passion. C´est la forme la plus
complète de l'esthétique baroque, dans laquelle le spectateur s´immerge
dramatiquement dans la réalité du mystère, faisant usage de tous les sens.
L'intégration du saint et du fidèle dans ce drame intensifiait l'émotion
participative car au-delà de l'identification physique par la taille, les
cheveux et les vêtements, le décor était réel, transposant ce qui n´était
jusque là visible que dans la seule imagination, dans un lieu vécu, engageant
entièrement les sens.
Les saints les plus communs dans les figures à habiller sont les
processionnels, surtout ceux liés au culte de la Passion, comme le Christ,
Notre Dame des Douleurs et le Christ mort[13] et ceux de la procession des Cendres.
Néanmoins, on trouve d´autres images liées à la ferveur des fraternités qui
rendaient hommage aux patrons les jours de fêtes. À Itaboraí, municipalité qui
a connu un important développement dans les premières décennies du XIXème
siècle, a été institué un théâtre dès la fin du XVIIIème siècle, qui a donné
une forte impulsion aux arts locaux. Là, nous trouvons dans l'église mère de
Saint Jean Baptiste une Sainte Cécile à habiller, protectrice des musiciens et
des arts [Figure 1].
L'utilisation des images à habiller n´est pas uniquement processionnel. La
Fraternité Notre Dame de la Gloire existante dans l'Église du tertre du même
nom à Rio de Janeiro, maintient dans son rétable principal de patron une sainte
sur armature en bois [Figure 2] qui, au 15 août - jour de l'Assomption
de Notre Dame - est retirée et dans un rituel auquel seules participent les
sœurs de l'Ordre, échangeant la robe par un autre neuf et riche vêtement.
Le goût pour habiller les images s´étend à celle en ronde-bosse, de telle sorte que même les images sculptées, dorées et polychromes, adoptaient le manteau, les ornements, les bijoux ou les vêtements complémentaires. Dans le Sanctuaire Mariano, faisant référence au territoire de la Capitainerie de Rio de Janeiro, Frère Agostinho de Santa Maria cite cinq images sur armature et deux à habiller ; néanmoins nous avons noté dans l'œuvre les descriptions de onze figures habillées de soie, et seize utilisant des manteaux, outre les bijoux et les couronnes.
Les sœurs du Couvent de Sainte Thérese conservent des petites images de
l'Enfant Jésus, dont les vêtements sont faits en tissus et constamment changés,
comme dans un petit berceau, habitude d´ailleurs, que l'on retrouve également
chez les frères du Recueillement de Notre Dame des Humbles de Saint Amaro de la
Purification[14]. Ce goût pour l'habillage de l'Enfant
Jesus s´étend également au public laïque des églises en général, car il est
très courant de rencontrer des figures en ronde-bosse de Saint Antoine, Notre
Dame des Carmes ou du Rosaire, ou de Saint Antoine de Cartagerona, avec
l'Enfant Jésus vêtu avec des affaires confectionnées par des fidèles. Dans la
sacristie du Tiers-Ordre de Saint Francis, il existe un gracieux Enfant Jésus
avec l'habit orné d´une riche broderie en or, et protégé dans un vase en verre
[Figure 3].
2 - La procession des Cendres de Rio de Janeiro
À Rio de Janeiro, les évenements religieux processionnels ont été très
populaires jusqu´à la fin du XIXème siècle, certains d´entres eux se réalisant
avec des images en ronde-bosse, et d´autres avec des saints sur armature ou à
habiller. De nos jours, les processions n´ont pas complètement disparues mais
elles ont perdu la forte pénétration populaire et l'effet de suspension du
quotidien de l'époque coloniale, demeurant plus présentes dans les régions
périphériques.
La réalisation d´une procession était un évenement inajournable et
incontournable du fait de son importance religieuse, de la solennité du moment,
pour les fidèles. Le huit janvier 1689, le roi du Portugal communiquait à
l'évêque, par le biais d´une ordonnance royale[15], que le peuple de Rio de Janeiro se plaignait du prélat qui me permettait
pas la réalisation de la Procession du Corps de Marie par manque de cire[16]. La suite processionnelle du corps de
Notre-Dame[17] a fait l'objet d´une grande
adoration au XVIIIème siècle, réunissant les représentants de tous les ordres
religieux et les confrèries, dans un phénomène de rassemblement social
catholique articulé par les saints et par la participation collective
occasionnée para la procession.
Le goût pour les images à habiller justifiait de constantes commandes.
L'historien Marcia Bonnet, dans son étude sur les artistes coloniaux, a dressé
un inventaire de certains testaments. Bonifácio Trindade[18] un modeste peintre et sculpteur, à
sa mort en 1815, a laissé dans son atelier une image du Christ, un oratoire et
une Notre Dame des Carmes à habiller. À l'autre extrême, nous trouvons le riche
sculpteur Antônio da Conceição Portugal[19], originaire de Porto, qui était maître d´un atelier de fabrication de
saint où travaillaient 65 esclaves dans diverses spécialités, dix étant liées à
la sculpture, cinq à la peinture et douze à la dorure. Décédé en 1849,
l'artiste a laissé divers objets de travail et huit images dans son atelier,
l'une d´elle étant une Notre Dame de la Conception à habiller.
L'évenement le plus marquant en terme d´importance, de somptuosité et de
nombre d´images était la Procession des Cendres, qui avait comme modèle de
référence celle de Porto où elle se tenait avec tant de majesté, qu´elle
« était citée dans et hors le royaume »[20] . À Rio de Janeiro était réalisé par le tiers-ordre franciscain le
jeudi des Cendres, l'inauguration du Carème, qui par la diversité des
personnages du cortège jouissait d´une réputation qui la tournait fameuse et
était une attraction pour le public[21].
L'Ordre, traditionnellement composé par les membres les plus aisés et les plus influents de la société, organisait annuellement à partir de 1650 la Procession du jeudi des Cendres, annonciant le début du Carème et de la Pénitence. Le premier cortège sortait avec vingt brancards et s´est maintenu ainsi jusqu´en 1758, lorsqu´une forte tempête a détruit les objets et les effets[22]. En 1850, elle a été réorganisé, sortant avec douze brancards.
En dépit de plusieurs équivoque de Debret[23], nous avons dans sa description une idée sur son ordonnancement à Rio qui différait de Porto[24] et de Minas[25].
Selon Debret (1839, 1996, p.373), la procession des Cendres était réalisée
de la manière suivante : le pompeux cortège était inauguré par des
officiels, les anges, les porteurs de candélabres et de croix. Le premier
brancard présentait un couple royal. Ensuite venait un brancard avec des
figures représentant Saint François avec une croix, aux côtés du Christ, également
avec une croix, allusion à la similitude de vie entre Saint François et Jésus
Christ. Le troisième brancard emmenait l'ensemble de la Curée, représentant la
remise des Statuts de Saint François au Pape, assisté par les cardinaux. Le
quatrième brancard emmènait « un roi et une reine sur pied ». Le
cinquième brancard exhibait une image de Saint Antoine de Noto. Suivait Notre
Dame de la Conception, la patronne de l'Ordre. Ensuite se trouvait la figure de
Sainte Marguerite de Cortona, la pêcheresse repentie. Le brancard suivant
venait avec une représentation de Saint François et du Seigneur Crucifié. Après
cela, apparaissait le brancard de Saint Roque suivi par Saint Louis, roi de
France et tout de suite après Sainte Isabelle, reine du Portugal. Le dernier brancard,
qui clôturait la procession, était la scène marquante dans laquelle Saint
François a la vision d’un Christ séraphin et recevant par lui les plaies du
Christ crucifié.
Le groupe d´images à habiller que l'on rencontre dans l'espace-musée, situé
à gauche de l'église, est constitué de onze images processionnelles, incluant
le Christ, qui appartiennent à la collection de la procession des Cendres [Figure 4]. Ce sont des œuvres d´une valeur inestimable
pour l'histoire de la ville et d´une grande importance artistique, bien
qu´elles ne correspondent pas à l'ensemble intégral de la procession. Il manque
une partie des vêtements originaux ainsi que certains attributs tout comme les
manteaux royaux et les premières couronnes d´or des personnages nobles.
2.1 Objets processionnels
Des parements et objets qui restent de la procession des Cendres, sont
exposés à l'espace-musée deux brancards [Figure 5], sculptés et entièrement dorés, œuvres d´Antonio
de Pádua e Castro[26], qui nous donne une petite idée de la
magnificence du spectacle duquel faisait également partie un énorme fronton en
tissu divisé en six segments avec des broderies et des franges en or, que
Debret décrivait ainsi :
Ces groupes imposants, resplendissant de tulle doré et argenté figurant des nuages et des éclairs, souvent parsemés de têtes de chérubins, se présentaient comme d´énormes masses fixées sur des estrades richement recouvertes de velours rouge avec des galons et des franges en or. Ils sont portés, selon leur poids, par quatre ou six hommes en uniforme de la fraternité de la paroisse.[27]
Là aussi se trouve la croix du saint patron de l'Ordre, et les étendards
avec les inscriptions qui annonçaient les saints des processions par des écrits
en latin [Figure 6]. Chaque inscription, suavement colorée
et entourée de palme, contenait une citation de la Bible, suivi de la
numération du livro, du chapitre et du verset.[28]
* MIHI VIVERE CHRISTUS
EST - 1º AD PHILIPP - V 21
Pour moi, vivre c´est le Christ - Fl 1,21.
Texte: Pourquoi pour moi vivre c´est le Christ et mourir est un gain.
* CHRISTI BONUS ODOR - 2º 2 N 15
La bonne odeur du Christ - 2 Cor 2,15
Texte : Pourquoi nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ, nous qui
nous sauvons et qui nous perdons.
* IN
PACELLIUS ERIT PAX VOBIS - JEREM 29 V7
Dans la paix, tu rencontreras la paix - Jr 29,7
Texte: Recherchez la paix de la ville où je vous ai exilés et intercédez
pour elle auprès de l’Eternel, car votre paix dépend de la sienne.
* DEDIT
VOBIS JUSTITIAE. JOEF. 2ºV23
Il vous a donné un docteur de justice - Jl 2, 23
Texte: Et vous, enfants de Sion, soyez dans l'allégresse, et
réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu'Il vous a donné un
docteur de justice, et qu'Il fera descendre sur vous la pluie d'automne et la
pluie du printemps, comme au commencement.
* ME AUTEM PROPTER INOCENTIAM SUCEPISTE SALM 40
Dans mon innocence, tu m´as soutenu - Sl 40
Texte: Quant à moi, tu m’as soutenu et rétabli pour toujours devant ta
face.
* EVACUATUM EST SCANDALUM CRUCIS AD GALAT 6 V 11
Poursuivis pour le scandale de la croix - Gl 6,11
Texte: Tous ceux qui veulent se rendre agréables, selon la chair, vous
contraignent à vous faire circoncire, uniquement afin de n'être pas persécutés
pour la croix de Christ ?
* DILECTUS MEUS MIHI ET EGO ILLI
Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui. Cantique, 6 :3.
Texto: Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui Paissant parmi les lis.
* REPOSITA EST MIHI CORONA TUSTITIAE 2º ADT HIMOT N º 8
La couronne de justice me sera donné. - 2 Tm 4,8
Texte: Désormais la couronne de justice m´est réservée, le Seigneur, le
juste juge me la donnera dans ce jour-là, et non seulement à moi mais encore à
tous ceux qui auront aimé son avènement.
* DECOLORAVIT ME SOL 1º CANTIC Nº 5
Brulée par le soleil - Ct 1,5
Texte: Ne prenez pas garde à mon teint noir : C´est le soleil qui m´a
brûlée. Les fils de ma mère se sont irrités contre moi, Ils m´ont faite
gardienne des vignes. Ma vigne, à moi, je ne l'ai pas gardée.
* OPRUIT CILICIO CARNEM SUAM - 3º REG 21 Nº 27
Texto: Lorsqu'Achab eut entendu les paroles d'Elie, il déchira ses
vêtements et, ayant mis un sac sur son corps, il jeûna; il couchait avec le sac
et il marchait avec lenteur.1Rs 21,27
* STIGMATA DNI JESU IN CORPORE MEO PORTO AD GALAT Nº 17
Texte: À partir de maintenant personne ne me préoccupe ; car je porte sur
mon corps les marques de notre Seigneur Jésus Christ. Gl 6,17
Les images qui sont dans l'espace musée sont pour l'essentiel du XIXème siècle[29]. La majeure partie a été exécuté par Joaquim Alves de Souza Alão, en cèdre. Deux fameux sculpteurs de Porto sont associés à ces œuvres : Manoel Joaquim Alves de Souza Alão et son fils João Joaquim Alves de Souza Alão, qui ont été les insignes sculpteurs des images de la Procession des Cendres du Tiers-Ordre de Saint François de Porto[30]. João Joaquim est venu au Brésil pour être sculpteur de la Maison Royale et maître de dessin des princes, devenant professeur du cours de sculpture de l'Académie Royale des Beaux-Arts. Par la suite, Manoel Joaquim, le père, est également venu à Rio de Janeiro en 1824, alors agé d´environ 70 ans, où il a continué à exercer sa profession de sculpteur. En 1806, quand il était encore à Porto, il a sollicité auprès du Tiers-Ordre de Porto son entrée dans la fraternité, s´obligeant a préparer et à vêtir tous les ans, tant qu´il demeurerait vivant, les images de la Procession des Cendres.
Il est fort probable que les œuvres de Rio de Janeiro[31] aient été exécuté ou par les deux artistes - père et fils - ou en majorité par le fils, car le père était d´un âge avancé à l'époque. La première commande a été réalisée en 1842 : étaient sollicitées les images de Saint François, de Saint Luc et de Santa Bona, de taille naturelle, pour le prix de six cent mille reis, soit deux cent mille reis pour chaque œuvre. En 1849, un autre Terme enregistre la commande de Sainte Isabelle et de Saint Gualter, pour quatre cent mille reis, d´où se déduit la même valeur unitaire de deux cent mille reis. Toujours en 1849, sont commandés les images de Saint Louis, de Saint Roque et de Sainte Marguerite de Cortona pour lesquelles l'Ordre a ajusté le prix à cinq cent mille reis. Ici, il convient de signaler un point à être eclaircie, car la Sainte Marguerite de Cortona diffère littéralement des autres images, tant sur l'aspect technique que sur l'aspect des caractéristiques formelles. Il existe sur la sculpture une étiquette qui l'attribue à Manoel Inácio da Costa, disciple de Felipe Pereira, qui est décédé en 1848, et donc avant la commande de 1849 à Joaquim Alves de Souza Alão. Nous croyons qu´il puisse s´agir d´une erreur dans l'enregistrement de la commande, car l'image qui n´est pas citée et qui s´harmonise avec les autres exécutées par le maître de Porto est de Santa Rosa de Viterbo, qui aurait été de moindre valeur par le fait d´être moins grande, sur armature et d´articulation simple.
Pour avoir une idée comparative de l'importance de la somme payée par
l'Ordre pour l'exécution de ces sculptures religieuses, il suffit de se
rappeler que lors de sa mort en 1849, le sculpteur de Porto Antonio da
Conceição Portugal, que nous avons déjà cité antérieurement, a laissé une
figure de Notre Dame de la Conception à habiller d´environ 90 cm qui a été évaluée à
dix mille reis. Prenant en compte le fait que les figures des franciscains du
Tiers-Ordre sont de taille naturelle et ont coûté deux cent mille reis chacune,
même comme cela, il y a une différence de prix qui doit inclure la peinture,
les vêtements et la « griffe » des réputés sculpteurs de l'époque.
2.2 Notre Dame de la Conception
À Rio de Janeiro, l'ancienne Chapelle du Tiers-Ordre, localisée sur le côté
droit de la nef de l'Église Saint-Antoine, était déjà dédiée à la Vierge depuis
sa fondation en 1619. Postérieurement, Dom João VI a institué à Rio de Janeiro
l'Ordre Militaire de la Conception, le 6 février 1818 ; à la même époque
divers ordres et confrèrie ont pris la Vierge comme patronne et protectrice
spéciale.
L'image de Notre Dame de la Conception [Figure 7] est un exemplaire délicat en bois polychrome, qui s´inscrit dans les recommandations des Constitutions de Bahia de 1707 : ils ont fait preuve d´un zèle particulier par rapport aux images de Marie, interdisant les productions sur armature ou anatomisées. À partir de ce moment, les images de la Vierge à habiller se sont présentées sous la forme de sculptures parées de tunique simple polychrome. Elles possédaient des yeux de verre et des cheveux naturels.
Le visage est placide, calme et équilibré, traits adéquats au caractère
virtuose de la Vierge. La Vierge est en position de prière, avec les mains
posées, paumes jointes, tournées vers le haut. Le regard se dirige vers le bas,
dans la direction des fidèles comme pieuse intercesseuse, car elle se
positionnait en haut du magnifique brancard. Ses vêtements sont précieux[32], portant tunique et manteau en tissu de
soie brodé de fils d´or avec des motifs de feuille de vigne et de fleurs,
terminé par des galons en or fin. Le long manteau bleu a également reçu un
patron brodé d´or. La sculpture a été mise sur une base bleue de profil sinueux
avec des ornements dorés, mais durant la procession elle sort sur un globe
céleste avec un trône angélique et un croissant de lune situé sur le haut du
brancard.
Les formes de représentations de ces cultures religieuses étaient contrôlés
par les églises, devant toujours être décentes et en adéquation avec le
caractère des saints. Elles visaient a faciliter l'identification au moyen des
expressions associées au caractère et aux passages de la vie sanctifiée. Dans le cas de Notre Dame de la Conception, son
expression supérieure et amoureuse, se maintient dans la ligne des préceptes et
des dogmes établis depuis le XVIIème siècle, à Trente. L'enseignement
académique consolidera les règles et les canons d´application pour les
expressions compatibles avec les vertus des personnages. Arrêtons-nous sur la description
physionomique établie pour l'Amour Simple, selon Le Brun :
Les mouvements de cette passion, lorsqu’elle est simple,
sont fort doux et simples, car le front sera uni, les sourcils un peu élevés du
côté où se trouve la prunelle, la tête inclinée vers l’objet qui cause de
l’amour; les yeux peuvent être médiocrement ouverts, le blanc de l’œil fort vif
et éclatant, la prunelle doucement tournée du côté où est l’objet, elle
paraîtra un peu étincelante et élevée; le nez ne reçoit aucun changement, de même
que toutes les parties du visage, qui étant seulement remplies d’esprits qui
l’échauffent et qui l’animent, rendent la couleur plus vive et plus rouge, et
particulièrement à l’endroit des joues et des lèvres; la bouche doit être un
peu entreouvertre, et les coins un peu élevés; les lèvres paraissent humides,
et cette humidité peut être cause de vapeur qui s’élève du coeur.[33]
2.3 - Saint Luc et Santa Bona. « Les biens mariés »
Selon Mattos (1880), Saint Luc était un riche commerçant florentin,
également lié à la vie politique. C´est en écoutant un sermon de Saint François
qu´il a résolu de se défaire de tous ses biens matériels et conjointement avec
Bona, son épouse, il s´est affilié au Tiers-Ordre Franciscain, devenant les premiers
membres de l'Ordre récemment fondé. Dès lors, il a dédié sa vie aux œuvres de
pénitence et de miséricorde, s´occupant des malades et des condamnés. Bona
l'accompagnait dans tous les actes de piété mais mourru avant lui qui,
souffrant de son absence, l'a rapidement rejointe dans la mort. Dans la
procession des Cendres de Rio de Janeiro, ils occupaient le premier brancard,
faisant ainsi référence à leur condition de premiers affiliés à l'Ordre.
Les images de biens mariés interagissent entre elles, dès lors que Saint
Luc tient le crucifix et que Santa Bona regarde dans la direction du Christ
crucifié [Figure 8a]. De cette forme, il existe une triangulation qui
unit le couple au Christ, comme s´ils se tournaient vers un objectif commun.
Saint Luc a des bras articulés par des sphères bipartites, possède des yeux
de verre et des cheveux sculptés dans le bois. Traduisant sa condition de
commerçant riche et d´éminence politique, il est représenté avec des chaussures
à boucles d´or [Figure 8b]. Il s´agit d´une sculpture à habiller
mixte, c´est-à-dire qu´elle possède une partie anatomique et une partie sur
armature : les lattes de bois s´étendent seulement sur les cuisses. Le
visage et les mains sur lesquels nous allons focaliser notre analyse est un des
aspects caractéristique de l'imaginaire processionnel.
Toutes les images présentent des indices d´érudition : elles possèdent
une bonne configuration anatomique, un équilibre et une juste proportion
entre les parties, la charge est expressive. Les mains ont des articulations
proéminentes et la disposition des doigts est astucieuse et élégante. Le couple
veste un habit du Tiers-Ordre franciscain, consistant en une tunique de soie
crème avec un cordon franciscain à la ceinture et le tiers du côté gauche.
Saint Luc a une cape alors que Santa Bona porte un voile noir couvrant la tête.
La carnation est délicate, avec de suave transition de ton. Les cils sont
peints autour des yeux.
Santa Bona est anatomisée, ayant les articulations du coude en sphère
bipartite. Elle possède des yeux de verre et des cheveux naturels. Son
expression faciale est très féminine et vive. Constatant l'établissement de
règles d´expression de représentation, nous recourrons à nouveau à Le Brun, où
nous trouvons la définition de l'Estime:
L’estime ne se peut representer que par l’attention et
par le mouvement des parties du visage, qui semblent être attachées sur
l’objet qui cause cette attention; car alors les sourcils paraitront
avancés sur les yeux et pressés du côté du nez, l’autre partie étant un peu
élevée, l’œil fort ouvert, et la prunelle élevée. Les veines et les muscles du
front paraîtront un peu enflés, et celles qui sont autour des yeux, les narines
tirant en bas, les joues seront creusées à l’endroit des mâchoires. La bouche
est un peu entrouverte, les coins tirant en arrière et pendant vers le bas. [34]
2.4 - Saint Louis Roi de France
Saint Louis est né à Poissy, en 1215 et est monté sur le trône en 1226 sous
le nom de Louis IX. De sa mère, Blanche de Castille - qui a assumé la
régence - il a reçu une éducation rigoureuse et pieuse. Sa vie fut celle d´un
chrétien modèle et comme roi, il a participé deux fois aux Croisades et sera
fait prisonnier lors de la seconde. Il revient en France six ans plus tard. En
1270, il réorganise une nouvelle armée mais meurt à Tunis deux mois après son
départ. Il a été prodigue en offrande pour les églises. Il est devenu le patron
des barbiers, des coiffeurs et des fabricants de perruques pour être toujours
rasé et bien peigné. Dû à la construction de la Sainte Chapelle, érigée pour
recevoir ses précieuses reliques, il a été élu patron de nombreux corps
d´artisans tels que les charpentiers, les maçons, les couturiers et les
fabricants de parements. Un de ses faits les plus significatifs a été
l'acquisition de la couronne d´épines à Constantinople, qui a complété sa
formidable collection de rares et saintes reliques, qui incluent des parties de
la Croix, l'éponge et la lance.
Il est toujours représenté avec une abondante chevelure et des moustaches.
De par les habitudes franciscaine il portait le manteau royal bleu étoilé et
ses attributs sont la couronne, le sceptre, pouvant inclure la couronne
d´épines.
L'image de Saint Louis [Figure 9] possède une longue chevelure sculptée en
bois, qui se soulève sur le dos de façon à faciliter
l'habillement. Les articulations sont fixes, c´est-à-dire qu´elles sont montées
et fixées avec des vis. Le cou est significativement long, ce qui augmente la
majesté et relève l'expression faciale. Dans les mains, il tenaient une
couronne d´épines et les trois clous[35], reliques qu´il a acquis et avec lesquelles il est généralement
représenté.
L'analyse de l'expression revient sur un moment de suspension que nous
pouvons une fois encore comparer avec la description de Le Brun à propos de l'Admiration :
Comme nous l'avons dit, l’admiration est la première et la plus tempérée de toutes les passions, et où le coeur sent moins d’agitation, le visage aussi reçoit fort peu de changement en toute ses parties; et s’il y en a, ce n’est que dans l’élévation du sourcil: mais il aura les deux côtés égaux, et l’œil sera un peu plus ouvert qu’à l’ordinaire, et la prunelle également, fixées sur l’objet qui sera la cause de l’admiration. La bouche sera aussi entrouverte, mais elle paraitra sans aucune altération, pas plus que le reste de toutes les autres parties du visage. Cette passion ne produit qu’une suspension de mouvement pour donner le temps à l’âme de penser sur ce qu’elle a à faire, et pour considérer avec attention l’objet qui se présente à elle ; et comme il est rare et extraordinaire, du premier et simple mouvement d’admiration s’engendre l’estime.[36]
2.5 - Saint Gualter Èvêque [37]
Disciple de Saint François, il a été désigné par le saint conjointement avec le frère Zacarias, pour fonder des couvents franciscains au Portugal, Frère Zacarias a été à Santo Antonio de Olivais et Frère Gualter a été à Guimarães, où il a établi couvent dont il deviendra le gardien. Sa vie entière a été marqué par l'action apostolique, jusqu´à sa mort en 1258[38].
La sculpture de Saint Gualter [Figure 10] possède des yeux de verre d´un ton vert, des cheveux sculptés et un visage fortement marqué par les masses anatomiques, ridé, dans une caractérisation convaincante, basée sur un modèle.
Sur l'habit franciscain est apposé la Cappa Magna violette et sur la tête la barrette noire doublée en violet. Il est représenté avec la crosse, attribut propre à sa charge écclésiastique.
En terme de caractère expressionnel, il exhibe une attitude qui le rapproche beaucoup de la description de Le Brun sur le Ravissement :
Mais si l’admiration est causée par quelque objet qui soit au -dessus de la connaissance de l’âme, comme peut être la puissance de Dieu et sa grandeur, alors les mouvements d’amiration et de vénération seront différents des précédents, car la tête sera penchée du côté du coeur, et les sourcils élevés en haut, et la prunelle sera de même. La tête penchée comme je viens de le dire, semble marquer l’abaissement de l’âme.[39]
2.6 - Saint Roque
Selon la légende, Sainte Roque, né à Montpellier au milieu du XIVème
siècle, possèdait une marque sur la poitrine en forme de croix rouge qui lui a
valu le nom de Roc, qui est une dérivation de « rouge ». Tôt devenu
orphelin, il s´est dépouillé de tous ses biens, les donnant aux pauvres et aux
malades, passant à vivre comme un pèlerin. C´est en revenant d´un voyage à
Rome, qu´il a commencé à se dédier aux personnes atteintes de la lèpre, maladie
qu´il finira par contracter lui-même. Le corps couvert de plaie, il fût
abandonné de tous. Un voisin compatissant sur son sort, envoyait son chien lui
apporter du pain tous les jours. Roque parvint à se guérir et retourna dans sa
ville, où on ne le reconnut pas et il fût pris pour un espion. Il fût
emprisonné jusqu´à sa mort.
C´est un saint invoqué pour la défense contre la peste. Ses attributs sont
le bâton de pèlerin et le chien, qui aujourd´hui ne fait plus partie de la
collection de Rio. De la main droite, il tient le vêtement, exposant sa plaie à
la jambe.
Nous avons dans ce Saint Roque l'une des plus expressives images de la
collection des saints à habiller des tiers franciscains [Figure 11a]. La complexion robuste et le traçé anatomique
clair des pieds, des mains et du visage [Figure 11b], marque un moment efficace du maître Joaquim
Alão, dans une ligne de facture michelangienne.
Ici également, nous pouvons nous reporter aux recommandations de Le Brun,
trouvant le sens des expressions se référant à la Douleur Corporelle:
Mais si la tristesse est causée par quelque douleur
corporelle, et que cette douleur soit aiguë, tous les mouvements du visage
paraitront aigus, car les sourcils qui s’élèvent en haut, le seront encore plus
que dans la précédente passion, et s’approcheront plus près l’un de l’autre ;
la prunelle sera cachée sous le sourcil, les narines s’élèveront aussi de ce
côté-là, et marqueront un pli aux joues, la bouche sera plus ouverte que dans
la précédente action, et plus retirée en arrière, et fera une espèce de figure
carrée en cet endroit-là. Toutes les parties du visage paraîtront plus ou moins
marquées, et plus agitées selon la violence de la douleur.[40]
2.7 - Saint Antoine de Noto (Saint Vivaldo ?)
Nous soulevons ici une question de caractère iconographique, en relation à
la dénomination de ce saint. Dans l'espace-musée cette sculpture apparaît sous
la dénomination de Saint Antoine de Noto, qui est noir et tient l'enfant Jésus
ou un crucifix.
Maria Regina Emery Quites (2008) souligne une confusion récurrente entre le
saint noir et un autre Antoine, blanc, appartenant au premier ordre
franciscain, décédé à Caltagirone.
Nous pensons qu´il s´agit de Saint Vivaldo, un dévot franciscain, qui dans les tiers-ordres de Recife et Salvador est blanc, avec le visage toujours tourné vers le ciel (les yeux clos)[41]. L'exemplaire de Rio de Janeiro a les yeux orientés vers le haut, tient la discipline composée de branches d´épines et, proche de lui, se trouve comme attribut, un crâne qui apparaît également au côté de l'image de Saint Vivaldo de la Chapelle du Tiers-Ordre de Saint François de Salvador.
Saint Vivaldo était italien, est né à San Geminiano en 1250. Il s´occupait
avec grande charité des lèpreux et après que son maître Bartolo de San
Geminiano soit décédé, il se retira pour une vie d´ermite, s´imposant la
solitude, les longues veillées et l'auto-immolation en plus d´une restriction
alimentaire. Il est mort à 72 ans.
l'image [Figure 12] est anatomisée, étant composée d´un
corps avec un habit entier. Elle possède un système d´articulation en sphère
bipartite, des yeux en verres et a été faite en bois polychrome. Cette image ne
figure pas dans les commandes faites à Joaquim Alves de Souza Alão même si elle
ne départ pas des autres, tant du point de vue technique que stylistique et
formel, étant également de taille naturelle et la disposition anatomique est
compatible avec celle de Saint Roque.
La bouche est entrouverte, avec les dents apparentes. Le nez est proéminent
avec la pointe projetée. Les sourcils sont froncés, la barbe ondule en boucles
bien définies. L'anatomie du cou est accentuée. La sculpture a une excellente
configuration anatomique avec un geste contracté des mains et une minutieuse
description des doigts, ongles et articulations. Les yeux ont une coloration
bleutée.
Il revêt la tunique et le manteau en soie crème propres au tiers-ordre, attaché
à la ceinture par le cordon franciscain d´où pend un tiers du rosaire du côté
gauche.
L'expression renvoit au ciel, révélant sa permanente évocation mystique, puisque que dans sa condition d´ermite béatifié il s´est retiré volontairement du monde pour vivre uniquement en fonction de Dieu. La tête de mort qui l'accompagne comme attribut [Figure 13] fait allusion à la vanitas, rappelant l'inutilité de l'attachement aux choses matérielles, car la mort est notre fin commune et irrémédiable. Dans ce saint, on peut de nouveau retenir la même définition de l'Enchantement, tirée des conférences de Le Brun, de la même forme que nous l'avons appliquée antérieurement à Saint Gualter :
C’est pour cela aussi que ni les yeux, ni les sourcils ne
sont point attirés par le monde, mais elevés vers le ciel, où ils semblent être
attachés pour découvrir ce que l’âme ne peut connaître. La bouche est
entreouverte, ayant les coins un peu élevés, ce qui témoigne une espèce
de ravissement. Si au contraire de ce que nous avons dit ci-dessus, l’objet qui
a causé d’abord notre admiration n’a rien en lui qui mérite notre estime, ce
peu d’estime causera le mépris, et le mépris s’exprime.
2.8 - Sainte Rose de Viterbo
Sainte Rose est né à Viterbo en 1235. Elle est morte très jeune, à
seulement dix-neuf ans, mais durant sa courte vie, elle a réalisé divers
miracles, entre eux, transformer du pain en roses, d´où provient une confusion
commune avec Sainte Isabelle. Elle a pour attribut le crucifix, ou les roses
qui se présentent dans un panier ou sur le bord du manteau.
Cette image [Figure 14a] n´est pas répertoriée comme appartenant à Joaquim Alves de Souza Alão, mais elle s´intègre parfaitement à l'ensemble, ayant le même style caractéristique de l'artiste.
Il s´agit d´une sainte sur armature, faite en bois, avec les jointures
chevillées et qui par conséquent ne s´articule pas. Elle possède des yeux en
verre et des cheveux naturels roux.
Le visage oval [Figure 14b] a une carnation claire avec de grands
yeux noirs, rehaussés par des cils peints. La bouche est entrouverte, avec une
partie des dents supérieures apparente. Le nez est droit, le menton rond et
proéminent. Elle porte l'habit franciscain avec un voile noir couvrant la tête,
et tient dans la main droite la croix qui s´étend jusqu´au sol. Elle a aux
pieds des souliers à boucle dorée. La représentation des mains articule une
délicate composition des doigts, dans une gestuelle délicate, fémininina et
vertueuse.
L'aspect est jeune et reflète les attentes et les espérances de l'âge. Le
regard est fixe sur l'avant, se connectant au monde autour d´elle mais traduit
également la bonté et l'idéalisme de l'adolescente.
Dans les « leçons » de Le Brun, nous pouvons détecter les indices expressionnels de l'Espérance dans cette sainte :
Lorsque nous sommes portés à désirer un bien, et il qu´il existe la possibilité de l'obtenir, alors le bien excite en nous l'espérance. Or, comme les mouvements de cette passion ne sont pas tant extérieurs qu´intérieurs, nous en dirons peu de chose, et nous remarquerons seulement que cette passion tient toutes les parties du corps suspendues entre la crainte et l’assurance; de sorte que si une partie du sourcil marque la crainte, l’autre partie marque de la sûreté, ainsi toutes les parties du corps et du visage sont partagées et entremêlées du movement de ces deux passions.[42]
2.9 - Sainte Marguerite de Cartona
Marguerite a mené une vie irrégulière et luxurieuse durant de nombreuses
années. Face à la vision d´un cadavre corrompu, elle s´est amèrement repentie
et effrayée par la vision, a rejoint le Tiers-Ordre de Saint François, où elle
s´est mise en pénitence et a cherché a expier ses péchés[43]. Elle est représentée avec le cilice et
le crucifix.
L'image de Sainte Marguerite de Cartona [Figure 15a] est anatomisée, mais présente des coupes sur le
bassin et les jambes sans que nous sachions s´il s´agit de restauration ou
d´adaptations. Dû à l'état de détérioration des habits, il ne nous a pas été
possible d´analyser sa structure complète, mais c´est un exemplaire qui diffère
de l'ensemble analysé car il un dos projeté, des cheveux sculptés, une
polychromie qui intensifie l'aspect dramatique. De grosses larmes en résine ont
été appliqué sur les deux yeux, avec une coloration sombre qui suggère des
« larmes de sang » [Figure 15b]. Sa réalisation est attribuée a Manoel Inácio da
Costa, selon une étiquette sur les hanches de l'image, du côté droit.
La bouche est entrouverte laissant les dents apparentes et les lobes des
oreilles apparaissent entre les longues mêches blondes. Dans la main droite,
elle tient le cilice et dans la main gauche le crucifix.
Elle porte la tunique et le manteau en tissu de soie avec des fleurs et des
perdrix, symboles de la luxure. Les cheveux longs ont été sculptés sans toucher
le corps, de façon à faciliter l'habillage. Les pieds ne sont pas fixés à la
base pour pouvoir être chaussé. Elle est posée sur une base sculptée en bois
dorée aux découpes sinueuses.
Quant à l'aspect expressionnel, chaque saint devait porter sur son visage l'expression qui caractérisait sa vie pour qu´elle soit reconnue et que son exemple reste dans les mémoires. Ainsi, Sainte Marguerite de Cartona traduit la tristesse causée par le repentir de la vie dérèglé qu´elle avait menée. Selon Le Brun, c´est ainsi que se doit être représentée la Tristesse :
Comme nous l’avons dit, la tristesse est «une langueur» désagréable où l’âme reçoit des incommodités «du mal» que les impressions du cerveau lui représentent. Cette passion se figure aussi par des mouvements qui semblent marquer l’inquiétude du cerveau, et l’abattement du cœur, car les côtés des sourcils sont plus élevés vers le milieu du front que du côté des joues, et celui qui est agité de cette passion a les prunelles troubles, le blanc de l’oeil jaune, les paupières abattues et un peu enflées, le tour des yeux livide, les narines tirant en bas, la bouche entreouverte et les coins abaissés, la tête parait nonchalamment penchée sur une des épaules, toute la couleur du visage est plombée, et les lèvres pâles et sans couleur.[44]
2.10 - Sainte Isabelle du Portugal
Selon TAVARES (2004) la reine Isabelle était la fille du roi Aragon et est
née vers 1271. Elle fût l'épouse du roi Denis Portugal. Après être devenue
veuve, en 1325, elle est entré au couvent de Santa Clara et est devenue monge,
jusqu´`a son déces en 1336. Tout au long de sa vie, elle a réalisé
infatigablement des actions de charité auprès des pauvres et des malades. Elle
a réalisé de nombreux miracles, mais l'un des plus connu est la transformation
du pain en roses. En matière politique elle a intercédé pour la paix par des
actions de conciliations. Au Portugal, elle est devenue patronne du pays, en
plus d´être la sainte protectrice de Coimbra et de Saragosse. Le Pape Urbain
VIII a canonisé Sainte Isabelle en 1635. Ses attributs sont la couronne et un
bouquet de roses en allusion à son plus fameux miracle.
L'image étudiée [Figure 16a] a la tête tournée vers la droite,
direction dans laquelle se tourne également le regard. Le nez est grand et défini, la bouche
entrouverte avec les dents apparentes, le menton est proéminent avec une
fossette en son centre. Les cheveux sont naturels, d´un ton chatain clair.
Elle porte l'habit franciscain avec la tunique et le manteau en soie créme
et un voile noir recouvre la tête. La ceinture est marquée par le cordon
franciscain d´où pend le rosaire à gauche. À ses côtés se trouve un petit
piédestal sur lequel il y a un coussin rouge où sont posés la couronne et le
sceptre de la reine.
Par la disposition des mains [Figure 16b], elle devait tenir un tablier ou un panier de
roses, décrivant la réalisation du miracle, qui est le moment où Dieu opère
« le merveilleux » par le biais du saint. Pour cela, son visage
exprime la Joie.
Si au lieu de toutes les passions dont nous venons de
parler, la joie s’empare de l’âme, les mouvements qui l’expriment sont bien
différents de ceux que nous venons de remarquer: car dans cette passion le
front est serein, le sourcil sans mouvement, élevé par le milieu, l’oeil
légèrement ouvert et riant, la prunelle vive et éclatante, les narines un peu
ouvertes, la bouche aura les coins légèrement élevés, le teint vif, les joues
et les lèvres vermeilles[45]
2.11 - La réception des stigmates
Dans la description de Debret, la scène de la « Reception des
Stigmates » était le douzième brancard de la procession, c´est-à-dire le
dernier. Il s´agit du point culminant de la vie de Saint François, quand il a
reçu les stigmates du Christ, passant à vivre avec Ses plaies sur son propre
corps. Miracle suprême d´une vie pleine de faits miraculeux, ce dernier lui
donne une dimension particulière au milieu de tous les saints par le fait
d´être l'unique à avoir été stigmatisé avec les cinq plaies.
Saint François d´Assises était ainsi connu pour être né à Assis, en 1812,
en Italie. Il appartenait à une famille aisée et a eu une enfance, une
adolescence et une jeunesse insouciante, qui n´était pas encore entièrement
dédiée à Dieu. Sa pleine conversion s´est produite lorsqu´il écouta les paroles
de Dieu dans un texte de l'évangile de Mathieu, recommandant à l'homme de se
défaire de tous ses biens terrestres. Suivant cet idéal, il a fondé l'Ordre des
Frères Mineurs, vivant de l'aumône, basé sur l'apostolat et dans une heureux
renoncement aux biens terrestres. Il voyagea dans différents endroits pour des
actions apostoliques, prêchant toujours pour les principes de pauvreté qu´il
avait établi et réalisant divers miracles. En 1224, il se retira sur le Mont
Averne, où il avait eu la vision du Christ séraphin, crucifié, qui lui a
transmis les cinq stigmates. De plus en plus affaibli et pratiquement aveugle,
il mourrut en 1226.
L'image de Saint François [Figure 17a] fait partie de la
première partie de la commande faite à Joaquim Alves Alão, en 1842.
Aujourd´hui, elle se trouve sur le maître-autel, selon la coutume des tiers
ordres, de maintenir sur leur autel ce saint patron à habiller. Il existe
d´autres exemplaires de Saint François à habiller dans la collection de
l'église, mais pour garder les proportions entre l'image et le Christ, celle du
maître-autel s´avère être la meilleure comme scène d´ensemble. Ils composent un
ensemble narratif, décrivant la scène mystique avec une intensité dramatique.
S´agissant d´une image du XIXème siècle exécutée par un artiste de formation
académique, il est bon de souligner que, peut-être de par la fonction
processionnelle ou de par la tradition baroque portugaise dont l'artiste était
imprégné, prévalent certaines techniques du baroque, telles que l'intensité de
l'expression, valorisant l'extase mystique, l'accentuation des références
visuelles pour que l'image soit vue à distance et l'accentuation des volumes.
Les aspects relatifs à la vie du saint ont été scrupuleusement respectés, tels
que la maigreur causée par la vie ascétique, les vêtements simples et rustiques
et l'identification des plaies. Ils étaient les témoins de sa sainteté, des
signes obligatoires pour une identification correcte.
Jacopo de Varazze[46] a ainsi décrit la stigmatisation de
Saint François :
Dans une vision, l'esclave de Dieu vit au-dessus de lui
un séraphin crucifié qui lui imprima les marques de sa crucifixion de manière
tellement évidente qu´il paraissait être le propre crucifié. Ses mains, ses
pieds et son flanc furent marqués par les blessures de la croix ; mais il
cacha soigneusement ces stigmates aux yeux de tous. Certains pourtant les
verront de son vivant et après sa mort, beaucoup purent l'examiner.
À cette image a été donné une expression d´extase mystique [Figure 17b] et par sa forte relation établie avec l'espace
qui l'entoure et avec l'image du Christ qui s´articule avec elle, nous sentons
dans cette œuvre une plus grande proximité avec la sculpture berninienne
qu´avec les principes académiques. La vision de Saint François est vivante,
aigue, emportée par le surnaturel. La gestuelle et l'expression du visage crée
un moment de commotion emotionnelle qui attire le spectateur vers la scène
théâtrale.
Le Christ séraphin [Figure 17c] a été confectionné en papier, une tecnique particulièrement bien adaptée à la finalité des processions par le fait qu´elle rendait l'image plus légère. C´est une sculpture de facture raffinée, avec un pathos intense, tant dans la sculpture que dans la carnation. Nous pensons qu´il s´agit probablement d´une image du XVIIIème siècle. Les clous ont été remplacés par de grandes pierres semi-précieuses, allusion symbolique qui relie le supplice de la chair à la rareté, la beauté et à la valeur suprême de l'âme. Les pieds sont représentés séparés et fixés avec des clous distincts. Nous avons rencontré un autre exemplaire fait en papier à Porto dos Caixas, vénéré comme le « Christ qui saigne » dans le Sanctuaire du Christ Crucifié, dont la provenance pourrait être du Tiers-Ordre de Saint François de la paroisse de Saint Antoine de Sá de Macacu.
l'image possède une bonne configuration anatomique, composée d´un corps
harmonieux et bien proportionné, avec une définition des muscles, des veines et
des ossos afleurant la peau. La vision du sang gagne en contraste, non
seulement par la couleur intense et par l'importance du flot mais aussi pour
avoir été élaboré avec du volume ; la même intensité dramatique a été
conférée à la carnation.
De pair avec les témoignages corporels de la souffrance, toute la sculpture
s´impose belle et noble, en adéquation avec la dignité extrême du Christ. Le
drapement du cendal est abondant et décrit un mouvement animé, caractéristique
du XVIIIème siècle.
Le Christ contemple Saint François, son fils bien-aimé avec pitié et
tendresse. Complice, il reconnaît la difficile option de vie du saint, sa
simplicité illimitée et la grandeur d´âme qui lui fait mériter les stigmates
qu´il lui transfère.
2.12 - La Curie
Sur le deuxième brancard, du côté opposé au consistoire (ou du côté gauche
du chœur), subsistent plusieurs exemplaires de saint sur armatures plus
anciens, qui faisaient aussi partie de la Procession des Cendres, vestiges du
XVIIIème siècle. Il s´agit de trois exemplaires qui composent la scène dans
laquelle Saint François remet les Statuts de son Ordre au Pape Innocent III [Figure 18a]. Debret fait référence à cette scène comme
faisant partie intégrante du troisième brancard de la procession. A l'origine,
en faisait partie, quatre cardinaux, le Pape ayant au premier plan les Statuts
de Saint François sur une petite table recouverte par un tapis rouge, et Saint
François prosterné à deux genoux, présentant le précieux document. Il convient
de considérer que, comme toujours, s´agissant d´œuvres du Tiers-Ordre de Saint
François de la Pénitence , les frères ont soigné la commande, incorporant à
la procession des pièces de valeur artistique considérable. Un tel fait
démontre que même au XVIIIème siècle, quand les images étaient produites dans
des ateliers locaux et sans les prémisses imposées par l'apprentissage
académique, les œuvres destinées à la bourgoisie atteignaient un haut niveau
technique et artistique. Abimées par le temps, les intéressants modèles en bois
attendent leur restauration pour pouvoir être exposées publiquement.
Selon Le Goff[47], Saint François a eu trois audiences avec le Pape Innocent III. La première fois, le Pape le prend pour un éleveur de porc. À la seconde tentative, Guy, Évêque d´Assise et le Cardinal Jean de Saint Paul interviennent pour que le Pape le reçoive ; à cette occasion, le Pape se surprend de la rigidité des statuts et considère sa viabilité absurde, il recommande à Saint François qu´il prie et attende un nouvel entretien. Pourtant, après la rencontre, le Pape Innocent a un rêve visionnaire, qu´il interprète comme étant Saint François sauvant l'Église. Le souverain pontife le reçoit à nouveau et approuve verbalement les statuts, ordonnant que les frères lui obéissent et les autorise à prêcher.
La scène de la Curie que nous traitons fait référence à la seconde entrevue.
Les personnages interprètent exactement la situation narrée : le Pape
traduit sur son visage l'impasse du doute et de l'étonnement, pendant que les
deux cardinaux qui intercédèrent pour que le Pape le reçoive, simplement
dénommés dans les sculptures comme « le cardinal de droite » et le
« cardinal de gauche » [Figure 18b], se montrent complices. Le regard est légèrement
tourné vers le bas, car Saint François est agenouillé dans la scène décrite par
Debret, et dans leur visage on peut discerner de la sympathie pour le rigoureux
projet de François.
Conclusion
Comme l'a affirmé Myriam Andrade Ribeiro de Oliveira[48], “l'intention de donner aux sculptures l'apparence de “figures vivantes” atteint son point culminant dans les images processionnelles, destinées à être vues de près sous des angles divers. » Les sculptures à habiller du Tiers-Ordre Franciscains de Rio de Janeiro prouvent le maintien de cette habitude jusqu`au XIXème siècle. Elles prouvent également qu´il ne s´agissait pas d´images de troisième catégorie mais d´une catégorie d´images, pouvant être commandées par des personnes de l'élite comme les membres du Tiers-Ordre de Saint François de la Pénitence, à des artistes de grande valeur social et artistique de l'époque, comme Joaquim Alves de Souza Alão.
La question expressionnelle était un facteur de grande importance car la
manière et les gestes devaient être éloquents, de forme à souligner l'émotion
et associer les faits relatifs à la vie du saint, réalimentant la mémoire des
fidèles. Les dogmes académiques ont été appliqués et les mains et les visages
des sculptures ont surgi des vêtements concentrant la force narrative. En ce
qui concerne les images à habiller du XVIIIème siècle, plus statiques, les
corps des sculptures de l'OTSFP ont gagné en mouvement. Les yeux de verres
deviennent plus grands, plus lumineux et adoptent des tons colorés.
Le profil de l'artiste change : au XIXème siècle, la formation
académique a été privilègiée, valorisant les sculpteurs portugais, au détriment
des travaux exécutés par les maîtres formés en ateliers, laissant les artistes
mulâtres brésiliens dans l'obscurité.Du fait de la dégradation des vêtements de
ces saints à habiller, il n´a pas été possible de les déshabiller pour une
meilleur observation de leur configuration et de la technique de montage.
Avec le temps, le cortège religieux a souffert une perte de prestige. La
date ingrate de sa réalisation a contribué à ce phénomène, dès lors que la
Semaine Sainte était inauguré dans la foulée du Carnaval. Encore sous l'effet de ce
dernier, les gens incrédules l'associaient au dernier évenement du Carnaval
alors que pour les fidèles il inaugurait une période de réclusion, d´abstinence
et de réflexion contrite. La vie urbaine, toujours plus laique et sous
l'influence française, a assumé avec le temps des caractéristiques associées à
l'élégance sociale, au progrès et à la culture humaniste, se dépouillant du
passé religieux et miraculeux portugais. Le peuple qui apparaissait dans les
rues pour voir le cortège des Cendres, était parfois plus motivé par la
débauche et le badinage que par le respect et la vénération chrétienne. En
fonction de ces irrévérences, en 1862, la procession a été définitivement
suspendue.
Prenait fin le parcours qui levait le corps non seulement des images mais
aussi des fidèles, d´un lieu sacré à un autre lieu sacré, simulant la propre
vie, un parcours du moment sacré de la naissance jusqu´au moment sacré de la
mort.
Prenaient fin les moments de suspension, qui pour un peuple qui croyait
dans les visions, les voyait surgir les unes après les autres, aussi proches et
convaincantes que réelles.
La ville grandissait, changeait. Et une phase de sa vie, tout simplement,
prenait fin.
Bibliographie
ACMRJ. Ordens
Régias. E 248, 1681-1809
AVILA, Afonso. O
lúdico e as projeções do mundo barroco II. Áurea idade da áurea terra. São
Paulo: Editora Perspectiva, 1994.
BARATA, Mário. Igreja
da Ordem Terceira da Penitência do Rio de Janeiro. Rio de Janeiro: Agir,
1975.
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IPHAN - Instituto do
Patrimônio Histórico e Artístico Nacional
OTSFP - Ordem
Terceira de São Francisco da Penitência.
Remerciements
Dr. Carlos
Pinheiro - administrador da OTSFP
D. Mauro Fragoso
OSB.
Rejane Oliveira dos Santos
Lúcia Rabelo
Funcionários da
OTSFP
Igreja Ordem
Terceira de São Francisco da Penitência
Largo da Carioca, s/n. Centro,
Rio de Janeiro.
Traduction de Philippe Dietmann
__________________________
[1] OLIVEIRA, 2004.
[2] DEBRET, 1966, v.2, p. 371
[3] NÓBREGA, 1549-1560. 1988.
[4] Inspiré des ultimes souffrances de Jésus.
[5] “Miséricorde, mon
Dieu”
[6] “l'esprit
du Seigneur vint en eux”
[7] Les Constitutions de Bahia - 1720 - Livre III, titre XIII, p. 199.
[8] JANSON, 2001.
[9] OLIVEIRA, 2000, p. 41.
[10] WEISBACH, 1948, p. 312.
[11] SANT MARIA, 1723, p. 17
[12] AVILA, 1994, p. 33.
[13] Nous considérons ici le Christ mort en tant qu´image à habiller de par l'habitude de le maintenir enveloppé dans un toile mauve durant le Carème, ou couvert avec un drap.
[14] Sur ce sujet, voir “Menino Deus”, Lúcia Marques, São Paulo, 2006.
[15] ACMRJ - Les Ordonnances Royales. E248, 1681- 1809, NT. 1124, 08/01/1689
[16] “Précisémment en 1683, le père jésuite Bêncio, pour éviter la montée du tertre (du Chateau), surtout pour les personnes âgées, funda une paroisse dans la ville basse, la confrérie de Notre Dame de la Bonne Mort . ». LEITE, Vol. VI, p. 14.
[17] ACMRJ - Les Ordonnances Royales. E248, 1681- 1809, NT. 1124, p. 187, 03/02/1750. Copie de la représentation de la lettre qu´a faite Mag. à Câmera [...] tous furent [...] accompagnèrent la procession du corps de M. et vinrent en outre toutes les Confréries et les Fraternités. Rio de Janeiro, 3 février 1750.
[18] Archive Nationale - Inventaire de Bonifácio José da Trindade - 1815 - Boite 1130 nº 9600. In BONNET, 1995, p. 194.
[19] Archive Nationale. Inventaire de Antônio da Conceição Portugal.
[20]
MATTOS. 1880.
Mémoire historique et descriptive du Tiers-Ordre de Saint François à Porto.
P.33.
[21] « Cette procession, qui a la réputation d´ailleurs juste, de présenter aux fidèles le plus grand nombre d´images sculptées, dure quatre heures ; retourne à la tombée de la nuit et sur son parcours, grossit sans cesse d´une foule de spectateurs nationaux et étrangers ». DEBRET, 1839, p. 373-374.
[22] MATHIAS, 1961, p.15.
[23] Debret commence par l'appeler “Procession de Saint-Antoine”, alors qu´en réalité le nom correct était Procession des Cendres, organisée par le Tiers-Ordre de la Pénitence de Saint-François, qui se trouvait à côté de l'Église du Couvent de Saint-Antoine. Il commet d´autres imprécisions qui démontre son manque de connaissance en matière de dénominations hagiographiques : il se réfère à Saint François comme Saint Antoine, Saint Antoine de Noto est confondu avec Saint Benoît, Sainte Marguerite de Cortona est appelée de Marie repentie, Saint Roque est appelé Saint Thiago et les saints mariés (Saint Luc et Sainte Bona, Saint Elzeàrio et Sainte Delphine) sont interprétés comme étant des rois et des reines. P. 372-373.
[24] MATTOS, 1880.
[25] CAMPOS, 2000.
[26] BARATA, 1975, p. 51.
[27] DEBRET, 1839, p. 372.
[28] Nous remercions l'aide de Dom Mauro Fragoso, OSB, pour la traduction des citations en latin.
[29] À l'exception du Christ séraphin, qui est du XVIIIème siècle et de Saint François qui est du XXème siècle : ces sculptures diffèrent techniquement et stylistiquement des autres sculptures à habiller.
[30] MATTOS, 1880, p. 30-33.
[31] IPHAN - RJ Livre des Termes du Troisième Ordre de la Pénitence de Rio de Janeiro - 1756 - 1795 f. 277, 283, 287 RJ - 2029 -cx 530.
[32] Selon MACHADO (1922), les vêtements de la Vierge ont été importés de Porto, en 1836.
[33] LE BRUN, Charles. L'expression des Passions & autres conférences. Correspondance. Paris : Éditions Dédale, Maisonneuve et Larose. 1994. p. 79
[34] LE BRUN, op. cit. p. 68
[35] DEBRET, op. cit. p.373.
[36] LE BRUN, op. cit, p.66
[37] Seulement chez les Tiers-Franciscains de Rio de Janeiro, apparaît Saint Gualter Évêque, saint comptant parmi ceux de la procession mais figurant également dans une niche latérale de l'Église. Dans les autres ordres des tiers-franciscains au Brésil, il n´est pas représenté. La dénomination « d´évêque » lui est attribué arbitrairement car dans l'Hagiologie des saints portugais (SOUZA, 2002), Saint Gualter a édifié un couvent franciscain a Guimarães dont il est devenu le gardien jusqu´à sa mort, où la ville en a fait son saint patron. CARDOSO, Jorge. Agiológio Lusitano. Vol. I-IV. Porto -Porto, Faculté de Lettres de l'Université de Porto, 2002.
[38] TAVARES. 2004 p. 70
[39] LE BRUN, p.72
[40] LE BRUN, op. Cit, p. 92
[41] QUITES, 2006, p.
106
[42] LE BRUN, op. Cit, p. 82
[43] TAVARES, op. Cit.
P. 104
[44] LE BRUN - op cit, p. 90
[45] LE BRUN, op. Cit.
94
[46] DE VARAZZE, p 841
[47] LE GOFF, 2001, p 74
[48] OLIVEIRA, 2000, p. 41